Collège Doctoral Européen
46, bd de la Victoire
67000 Strasbourg
Horaires : Lundi-dimanche · 8h-20h
LES PARTICIPANTES AU PROJET
Douja Darej & Julie Thomas
Doctorantes en physique des particules, École doctorale de physique et de chimie physique_Unistra
Clara Deprez & Maria Calzolari
Étudiantes dans l’atelier communication graphique de la HEAR
Alison Baldo & Mathilde Blessing
Étudiantes en master design projet_faculté des arts_Unistra
Léa Fournasson & Elise Lachat
Étudiantes en master communication scientifique_Unistra
COMMENT REPRÉSENTER LE MONDE PHYSIQUE À L’ÉCHELLE DE LA PARTICULE ?
Pour répondre à cette question, une expérience pédagogique pluridisciplinaire a été déployée par Julia Coffre, designer graphique associée au département Arts visuel de la Faculté des Arts, en collaboration avec Pierre van Hove, chercheur en physique des particules à l’IPHC.
Dans le cadre de l’atelier de projets du master design, des étudiantes en graphisme, en communication scientifique et des doctorantes en physique des particules ont réalisé une série d’expérimentations graphiques pour tenter ensemble de proposer des pistes de réflexion sur les problématiques soulevées par la mise en image de l’infiniment petit. L’objectif était de créer des dispositifs visuels pour aborder une physique assez particulière, dont le plus grand instrument d’exploration se trouve à quelques centaines de kilomètres de Strasbourg, au CERN de Genève.
ORIGINE DU PROJET
Le workshop « Texture de la réalité » présenté dans cette exposition s’inscrit dans le prolongement d’une série d’expériences qui ont eu lieu dans l’atelier de projets du master design, dont le but était de questionner le rôle et la place des images produites par la science. Depuis 2018, la commissaire d’exposition Émeline Dufrennoy a mis à disposition de l’atelier des fonds conséquents d’images issues de différents laboratoires de l’Université de Strasbourg.
LA PLACE DES IMAGES EN PHYSIQUE DES PARTICULES
Pendant les échanges entre les scientifiques et les designers, il est apparu que le rôle des images dans le processus de recherche en physique des particules est relativement faible et tend à diminuer. La plupart des images conservées dans les archives sont des photographies argentiques produites par des détecteurs ou de personnes en train de réaliser des mesures sur ces tirages. Aujourd’hui, les détecteurs restituent directement les informations sous format numérique. Les trajectoires des particules peuvent être retracées, mais ce qui intéresse les chercheurs, ce sont les diagrammes produits par les logiciels à partir de l’importante quantité d’informations relevées.
Ainsi, ce ne sont pas tant des images réelles auxquelles les chercheurs en physique pourraient avoir recours, mais des images mentales, qui leur sont nécessaires pour se représenter ce que signifie chacun des termes dans une équation. Les équations permettent de faire des prévisions sur les résultats des mesures, dans des conditions spécifiques, et les plus pragmatiques auront tendance à essayer de tout décrire à partir d’équations, c’est-à-dire d’un point de vue théorique.
Tout l’enjeu de ce workshop pour les doctorantes en physique a été d’essayer de reconstruire et de préciser ces images mentales, dans l’intérêt de mieux échanger avec les membres des autres disciplines.
LE DISPOSITIF PÉDAGOGIQUE
Trois questions de représentation ont été posées en atelier. À chaque fois, les étudiantes se sont réunies autour des résultats qu’elles avaient produits en petits groupes pluridisciplinaires. Fragmentées dans la trentaine d’idées qui sont apparues pendant les ateliers, deux grandes approches sur la question de l’image en physique des particules ont émergé : l’une narrative et l’autre didactique. Deux prototypes ont ainsi été conçus dans les ateliers de fabrication de la Faculté des Arts, pendant un workshop dédié.
L’enchaînement soutenu des expérimentations a permis aux participantes de dépasser rapidement l’appréhension d’aborder une discipline a priori éloignée de la leur. L’examen conjoint des résultats faisait apparaître de nouvelles idées qui pouvaient être testées directement dans l’expérience suivante.
APPRENTISSAGES CROISÉS
Pour chaque nouvelle expérience, les doctorantes en physique expliquaient succinctement les phénomènes en question et commentaient des images de différentes natures (indicielles, symboliques, schématiques), qui circulent déjà pour aborder ces sujets. Le temps était limité afin de laisser la place à l’échange en groupes, puis à la création de premières formes en réponse. Elles avaient donc un aperçu très rapide du décalage entre les explications qu’elles fournissaient au début de chaque expérience, et l’interprétation des designers, forcément très différente. Il est assez rare de pouvoir observer aussi immédiatement la compréhension de son discours sur sa discipline.
Les étudiantes en design, quant à elles, étaient très intéressées d’avoir des retours sur les résultats produits, qui n’émanaient ni de leurs pairs, ni de leurs enseignants. Les scientifiques voyaient dans leur travail un potentiel qu’elles n’osaient soupçonner.
Concernant les étudiantes en communication scientifique, leur rôle de médiatrice était troublé par le fait que les scientifiques et les designers se retrouvaient côte à côte et dialoguaient directement. Elles ont eu ainsi une place privilégiée pour observer ces échanges, ce qui passait ou ne passait pas. Elles ont pu essayer de conseiller, moduler et compléter ce qui était apporté par les physiciennes et par les designers.
Ce dispositif pédagogique de co-création avait pour finalités de produire conjointement de premières tentatives de reformulation visuelles de problématiques de représentation soulevées par cette science de l’invisible, et de prendre du recul sur sa discipline et sur ce qu’elle peut apporter à un projet.
Le projet « Textures de la réalité » vu par Pierre Van Hove
Comment des concepts de physique des particules peuvent-ils être représentés pour améliorer la perception de cette science vers le grand public ou des étudiant(e)s ?
La question est importante et tenter d’y répondre est ambitieux. Sous l’impulsion de Julia Coffre, designer graphique associée au département Arts visuel de la Faculté des Arts, nous avons mis en place un dispositif qui, non content de s’atteler à ce défi, propose d’expérimenter une pédagogie pluridisciplinaire avec des étudiantes en graphisme, en communication scientifique et des doctorantes en physique des particules.
Le dispositif complet a permis aux étudiantes de travailler par petits groupes mixtes sur des concepts clés de la physique des particules afin de réaliser des avant-projets autour desquels elles échangeaient ensuite toutes ensembles des intérêts des diverses propositions avant de passer au concept suivant. Trois concepts ont ainsi été travaillés pour produire un grand nombre d’avant-projets dont les éléments les plus intéressants ont été sélectionnés et repris en profondeur lors d’un workshop de trois jours.
De mon point de vue, ce travail promettait, soutenu par la candeur propre à l’apprentissage, d’explorer de nouvelles pistes. Et, effectivement, les résultats concrets du workshop ouvrent des voies prometteuses : jeu, vidéo, graphisme… Parmi la multitude des propositions intéressantes, je n’en citerai que deux :
- d’un point de vue pédagogique : la proposition astucieuse d’un système de couleurs associé à chaque particule permet de déterminer d’un simple coup d’œil les particules qui peuvent interagir.
- d’un point de vue sensible : l’analogie avec des aléas météorologiques (orage) permet d’appréhender intuitivement les échanges d’énergie entre les champs de particules.
Au-delà de ces résultats constructifs, le dispositif pédagogique a offert aux étudiantes des trois disciplines de partager leurs méthodes, leurs savoirs, et d’appréhender le fossé culturel que leurs différentes formations tendent à créer. Les ateliers ont été productifs et joyeux, ils ont permis à toutes les étudiantes d’être déplacées dans leurs savoirs et j’espère que cette expérience influencera leurs travaux futurs et leur capacité collaborative.